L'art
du raisonnement
Avant
d’entamer le cœur de ce manuel, une incursion dans l’art
du raisonnement n’est pas inutile.
A
l’expérience, on s’aperçoit très
vite que les étudiants, et souvent leurs enseignants, sont
fâchés avec la logique et se trouvent souvent dans
l’incapacité de maîtriser leurs émotions
lors d’une discussion où les figures de rhétorique
abondent. Ce chapitre a pour objet d’initier les étudiants
à l’argumentation et de les inciter à repérer
les sophismes que les professeurs utilisent pour convaincre leur
auditoire de la validité des théories ou des arguments
qu’ils défendent ou exposent.
Revenons
à notre discussion sur la version officielle de la méthodologie
des économistes que nous avons abordée d’un précédent
chapitre. Celle-ci est caractérisée par deux idées
maîtresses :
-
l’une consiste à juger comme scientifiques uniquement
les argumentations susceptibles d’être confirmées
ou réfutées empiriquement à partir de faits
observables (les autres seront rejetées)
-
l’autre revient à considérer que seuls les jugements
de faits peuvent être tranchés, alors que les jugements
de valeurs ne peuvent l’être.
Voilà
deux fautes informelles de raisonnement ; la pétition de
principe (qui présuppose sa propre conclusion) et la fausse
dichotomie (qui repose sur l’hypothèse fausse d’un
nombre donné d’alternatives). Ces deux erreurs de raisonnement
expliquent pourquoi les économistes prêchent un "positivisme"
qu’ils ne pratiquent pas et une "neutralité"
dans les jugements de valeurs qu’ils ne respectent pas.
L’écart
entre ce qui est dit et ce qui est fait provient d’un canon
du discours scientifique ou d’une connaissance "objective"
en sciences humaines (c’est-à-dire dégagé
des jugements de valeurs) qui est idéel, c’est-à-dire
qui n’a pas de contrepartie dans la réalité.
Ces deux propositions n’appartiennent pas au discours scientifique,
mais à une réflexion sur ce qui devrait être
; la rhétorique joue alors son rôle : celui de l’intimidation.
Comme
le souligne P.Feyerabend (1975), une application stricte des canons
scientifiques, tels que les économistes, à la suite
de K.Popper (1935, 1972) ou de M.Friedman (1953) les conçoivent,
aurait tué depuis longtemps les découvertes scientifiques
elles mêmes! L’art du raisonnement nous aide à
ne pas nous laisser intimider par des arguments qui n’ont rien
à voir avec la logique. Comme le suggère D.McCloskey
(1984),le discours scientifique se révèle être
à l’observation un simple discours rhétorique
:
"
Les faits et la logique, avec la métaphore et le récit,
constituent ce qui pourrait être la Tétrade rhétorique.
Les économistes, comme d’autres experts, doivent utiliser
l’ensemble de la tétrade s’ils veulent donner un
sens à leur propos ".
Une
maîtrise de la rhétorique permet d’épurer
le discours scientifique des fautes de raisonnement que les économistes
commettent en analysant un problème particulier, sans sacrifier
la richesse ou l’intuition sous jacente aux théories
développées. Comme le rappelle M.Rothbard(1960), le
mot science veut dire scientia et signifie "la connaissance
correcte".
Dans
ce chapitre, nous allons délaisser les faits et le récit
(ou la théorie), qui constituent la sémantique du
discours des scientifiques, pour nous concentrer sur les instruments
du raisonnement lui-même :
1)
la logique
2)
les sophismes
3)
la métaphore
3.1
La logique
Il
ne s’agit pas ici de remplacer un cours de logique, mais de
vous donner un aperçu de ce qu’est l’art du raisonnement.
Pour cela nous nous appuierons sur le chapitre 2 de l’excellent
ouvrage du philosophe Ed Miller (1992).
Les
trois principes fondamentaux de la pensée doivent, en premier
lieu, être énoncés :
1)
la loi de la non contradiction : une chose ne peut " être
et ne pas être " en même temps et pour la même
relation.
Une
table peut être verte ou rouge à différents
moments, mais au même moment, non.
2)
la loi du milieu exclu : une chose " est ou n’est pas
".Ou un argument est à " moitié vrai "
ou bien il n’est pas à " moitié vrai ".
3)
la loi de l’identité : une chose " est ce qu’elle
est "
Une
table est une table, un argument est un argument.
Si
l’on n’accepte pas ces trois principes, rien de ce que
l’on dit ou pense n’a de sens, même pas la phrase
que vous êtes en train de lire. Pour vous en convaincre, essayer
d’imaginer un argument à propos d’une chose si
l’un de ces principes ne tient pas. Allez y, essayez, nous
dit E. Miller.
Ces
trois principes sont des axiomes de la pensée. Ils sont indémontrables
et ne peuvent être dérivés d’autres principes.
Les logiciens contemporains n’hésitent pas, cependant,
à développer des principes de pensée reposant
sur d’autres axiomes. C’est le cas de la logique modale,
qui remet en cause le principe de contradiction, de la logique plurivalente
qui dénonce le principe du tiers exclu et, enfin, de la logique
affaiblie, qui complique le principe d’identité en distinguant
la non-existence de l’impossibilité de l’existence.
Le
territoire embrassé par nos trois grands principes ne recouvre
donc pas la totalité de la logique, mais demeurent néanmoins
fondamentaux pour fonder l’art de raisonner dans les discussions
de tous les jours ou celles que l’on observe en sciences et
en philosophie.
3.1.1
Les éléments d’un argument
Un
argument est unetentative de montrer quelque chose en apportant
une évidence en sa faveur
. Plus techniquement, c’est
une série de propositions qui se suivent. La proposition
que l’on veut démontrer est la conclusion, et les propositions
à partir desquelles on infère la conclusion s’appellent
les prémisses.
Prenons
le dialogue suivant : Brigitte
:L’avortement est immoral
Julie
:non pas du tout
Brigitte
:si, c’est immoral
Julie
:qu’est-ce que tu connais à l’avortement
?!
Brigitte
:j’en connais plus que toi à ce
propos !
Julie
:Oh tu es une imbécile!
Ce
dialogue est rempli d’agressivité et de sous-entendus,
mais ne contient aucun argument !
Brigitte
aurait pu dire: C’est immoral de tuer un être humain Avorter, c’est tuer un être humain ___________________________ Donc l’avortement est immoral.
Même
si l’on est en désaccord avec ce que dit Brigitte, cette
fois elle argumente. Les deux premières propositions sont
les prémisses de l’argument et la dernière est
la conclusion. On distingue habituellement une prémisse majeure
(ou proposition universelle), une prémisse mineure (ou proposition
particulière), une inférence et la conclusion.
Si
les éléments d’un argument peuvent ne pas respecter
cet ordre (un argument peut débuter par la conclusion), on
ne peut pas se contenter de mettre ensemble des propositions, comme
cela est fait dans l’exemple suivant :
Charles
Lindberg s’envole vers les Etats Unis La France protège son industrie cinématographique ____________________________________ Donc l’avortement est immoral
On
doit, en effet, respecter une certaine connexion entre les propositions
; la conclusion doit correspondre aux prémisses.C’est
une inférence.
Un
argument est une tentative de montrer quelque chose en apportant
une évidence en sa faveur. Plus techniquement, c'est une
série de propositions qui se suivent. La proposition que
l'on veut démontrer est la conclusion et les propositions
à partir desquelles on infère la conclusion s'appellent
les prémisses.
3.1.2
La nature des inférences
On
distingue habituellement les inférences inductives des inférences
déductives.
L’inférence
déductive
Uneinférence déductive
va du général
au particulier, comme par exemple :
Tous
les hommes politiques maximisent leur satisfaction (proposition universelle) Monsieur Dupont est un homme politique (proposition particulière) ________________________________________ (inférence) Donc, Monsieur Dupont maximise sa satisfaction
Une
inférence déductive est valide si la prémisse
assure ou garantit la conclusion : si la prémisse est vraie,
la conclusion doit l’être aussi. C’est une nécessité
de l’inférence logique. En effet, il y a unerelation
d’implication
entre la prémisse et la conclusion
: une inférence déductive traite de la manière
dont une proposition est inclue dans une autre.
Toutefois,
il ne faut pas confondre cohérence d’une argumentation
et vérité d’un syllogisme. Une inférence
déductive est un " bon " argument si, à
la fois, elle est cohérente et les prémisses sont
vraies.
Ainsi,
on peut construire une argumentation correcte, mais où toutes
les propositions sont fausses :
Aucun
homme politique ne sait chanter J.Halliday est un homme politique ____________________________ Donc J.Halliday ne sait pas chanter
ou
créer des argumentations déductives qui peuvent être
incohérentes, mais dans lesquelles chacune des propositions
est vraie :
Tous
les présidents de la République française ont
été des hommes R.Coty était un homme ______________________________________________ Donc, R.Coty a été président de la République
française.
La
forme la plus commune de déduction est lesyllogisme
,
dont on distingue trois formes : - le syllogisme de propositions classificatoires - le syllogisme de propositions disjonctives - le syllogisme de propositions hypothétiques
Dans
un syllogisme de propositions classificatoires
, les prémisses
et la conclusion prennent la forme de propositions qui traitent
de choses appartenant à une catégorie ou à
une classe de choses :
Tous
les X sont des Y (tous les étudiants trichent aux examens) Tous les Y sont des Z (tous les tricheurs méritent de mauvaises
notes) _______________ Donc, tous les X sont des Z (tous les étudiants méritent
de mauvaises notes)
En
réalité, il existe 4 formes de proposition de classification
:
1) Tous les X sont des Y (tous les étudiants sont des
tricheurs) 2) Aucun X n’est Y (aucun étudiant n’est un tricheur) 3) Quelques X sont Y (quelques étudiants sont des tricheurs) 4) Quelques X ne sont pas des Y (quelques étudiants ne sont
pas des tricheurs)
Une
façon simple de représenter les syllogismes de classification
consiste à faire appel aux diagrammes de Venn. 1) tous les X sont des Y : l'ensemble X des étudiants est
contenu dans Y, l'ensemble des tricheur

2)
aucun X n'est Y : les deux ensembles (ensemble des étudiants
et des tricheurs) sont disjoints

3) quelques X sont des Y : il existe un région (hachurée)
où l'on trouve à la fois des étudiants et des
tricheurs (quelques étudiants sont des tricheurs)

4) si quelques X ne sont pas des Y : il existe une région
où des étudiants ne trichent pas.
Pour
être cohérent, un syllogisme de classification doit
obligatoirement vérifier lesrègles d’inférence
:
-
il doit contenir trois termes (X,Y,Z) qui auront le même sens
tout au long du syllogisme. - le terme présent dans la prémisse majeure, mais
absent dans la conclusion, doit faire référence à
toute la classe - si l’un des termes apparaît dans la conclusion, il
doit apparaître dans l’une des prémisses - les deux prémisses ne doivent pas être des négations - si l’une des prémisses est négative, la conclusion
est négative - les deux prémisses ne doivent pas être universelles.
Lesyllogisme à propositions disjonctives
propose
des alternatives du type:
Ou
bien X ou bien Y (ou le chômage résulte de la hausse
des salaires ou il résulte de la chute de la demande) Pas de X (il ne résulte pas de la hausse des salaires) ____________ Donc, Y (Donc, le chômage résulte de la chute de la
demande).
Une seulerègle de cohérence
doit être
respectée dans un syllogisme à propositions disjonctives
: dans l’une des prémisses se trouve la négation
de l’une des propositions alternatives, alors que dans la conclusion,
on affirme l’autre.
Dans
ce cas, le syllogisme suivant est incohérent :
Ou
X , ou Y (ou bien le chômage résulte de la hausse des
salaires, ou bien il résulte de la chute de la demande) X (on observe qu’il résulte de la hausse des salaires) ________ Donc, pas de Y (Donc, le chômage ne résulte pas de
la chute de la demande).
Enfin,
unsyllogisme à propositions hypothétiques
,
qui est la forme la plus courante de syllogisme, suppose que l’une
des prémisses contient une proposition conditionnelle ou
hypothétique. De plus, il y a une proposition antécédente
et une autre conséquente.
On
fait une distinction entre le syllogisme hypothétique pur
et celui qui est mixte, c’est-à-dire qui est à
la fois classificatoire et hypothétique.
Le
syllogisme hypothétique pur s’écrit:
Si
X, alors Y (si vous investissez , alors votre revenu va croître) Si Y, alors Z (si votre revenu croît , alors vous pourrez
dépenser davantage) _________ Donc, si X, alors Z (Donc, si vous investissez, alors vous pourrez
dépenser plus)
Dans
ce cas, la première prémisse et la conclusion doivent
avoir le même antécédent (repéré
par " si "). La seconde prémisse et la conclusion
auront le même conséquent (repéré par
" alors "). Enfin, le conséquent de la première
prémisse est l’antécédent de la seconde,
selon la règle de transitivité.
Le syllogisme hypothétique mixte
suppose l’existence
d’une prémisse conditionnelle et d’une prémisse
classificatoire, telles que :
Si
X, alors Y (si la demande pour le bien X s’élève,
les prix montent) On observe X (on observe que la demande s’élève) _________ Donc, Y (Donc, les prix vont monter)
ou
Si
X, alors Y Pas de Y _________ Donc, pas de X
Lesrègles de cohérence
du syllogisme mixte sont
plus compliquées. Elles méritent que l’on s’y
arrête car la démarche scientifique repose fondamentalement
sur ce type de syllogisme.
En
revanche
,
on ne peut pas dire:
Si
X, alors Y (si la demande pour le bien X s’élève,
les prix montent) on observe Y (on observe que les prix montent) _________ Donc, X (Donc, la demande s’élève)
puisque
la hausse des prix peut être la conséquence d’une
hausse des coûts et non d’une augmentation de la demande.
On ne peut affirmer le conséquent de la prémisse classificatoire.
On
ne peut pas, non plus, dire :
Si
X, alors Y (si la demande pour le bien X s’élève,
les prix montent) Pas de X (on n’observe pas que la demande s’élève) _________ Donc, pas de Y
Donc les prix ne vont pas monter puisque la hausse des prix peut
résulter d’autre chose que d’une hausse de la demande.
C’est commettre une faute de raisonnement qui consiste à
nier l’antécédent.
Un
syllogisme est cohérent lorsque : 1) la prémisse classificatoire affirme l'antécédent
de la proposition conditionnelle et la conclusion affirme le conséquent. 2) la prémisse classificatoire nie le conséquent de
la proposition conditionnelle, alors la conclusion nie l'antécédent.
Dans tous les autres cas, il y a une faute de raisonnement.
L’inférence
inductive
Contrairement
à l’inférence déductive, une inférence
inductive
va du particulier au général, elle généralise
à partir de faits particuliers et d’analogies.
Cas
1 de A, on observe X Dupond maximise son utilité Cas 2 de A, on observe X Durand maximise son utilité Cas 3 de A, on observe X Haddock maximise son utilité ........ Cas A Tous sont des hommes politiques __________________ Donc, tous les A sont X. Tous les hommes politiques maximisent leur
utilité
Il est amusant de constater, comme le fait remarquer E. Miller,
que le raisonnement de Sherlock Holmes est connu et apprécié
pour son pouvoir de déduction, alors qu’en fait il repose
entièrement sur l’induction. A partir de faits particuliers,
d’analogies, de relations entre les faits (ces éléments
deviendront des évidences pour notre détective) et
un fil directeur, il déduit une conclusion...
Dans
l’induction, la prémisse suggère la conclusion.
Si elle est vraie, la conclusion le sera probablement. Ce que l’on espère donc est la vérité
des prémisses et une certaine probabilité des conclusions.
Toutefois, des erreurs de raisonnement peuvent être commises
: on peut fonder ses conclusions sur un nombre insuffisant d’observations
ou de prémisses, ne pas tirer une conclusion aussi forte
que le suggère les évidences ou, au contraire, négliger
des faits qui modifierait totalement la conclusion.
Prenons
quelques exemples :
Ce
cygne est blanc Celui là aussi Tous les cygnes que l’on connaît sont blancs On n’a jamais entendu parlé de cygnes qui n’étaient
pas blanc _______________________ Donc, tous les cygnes sont blancs
Cette conclusion est certainement raisonnable et fort probable ;
il serait donc absurde de la rejeter... pourtant elle est fausse.
En effet, il suffit d’observer un cygne noir pour la contredire.
Cependant, compte tenu du coût d’acquisition et du caractère
limité de l’observation, on n’est jamais certain
qu’il n’existe pas de cygne noir. Ainsi, l’induction ne permet pas d’apporter une preuve
de ce que l’on avance, mais elle peut y apporter une réfutation
par l’existence de contre exemples ! L’induction est, cependant, paradoxale ; on doit utiliser un
syllogisme pour passer des prémisses mineures ou des propositions
particulières à la généralisation. Prenons l’exemple du soleil. Depuis que vous êtes né,
vous avez vu le soleil se lever le matin... Vous en concluez que
le soleil se lèvera demain, comme il l’a fait quotidiennement
jusqu’ici. Cette induction peut s’écrire de la
façon suivante :
Ce
que le soleil a fait dans le passé, il le fera dans le futur. Depuis toujours on observe que le soleil se lève le matin. ________________________________________ Donc le soleil continuera à se lever le matin dans le futur.
Ainsi,
la prémisse majeure (ce qui est arrivé dans le passé
se répétera dans le futur) suppose une régularité,
une uniformité ou une répétition des événements
observés. Or, on ne peut passer de la prémisse mineure
à la prémisse majeure ; tous les faits observés,
même les plus réguliers ou les plus uniformes, ne peuvent
servir de preuve pour établir la véracité de
la prémisse majeure. Une difficulté identique est observable avec les analyses
statistiques et économétriques.
Pour
preuve cet exemple :
On
a observé que les prix des actions sur un marché boursier
suivent une marche aléatoire (prémisse mineure) Toute loi statistique découverte dans le passé sera
aussi observée dans le futur (prémisse majeure) _______________________________________________ Donc les prix futurs que l’on observera sur les marchés
boursiers suivront une marche aléatoire.
En réalité, l’analyse statistique des données
passées n’apporte aucune évidence ou preuve permettant
de justifier une régularité de cette loi statistique
(marche aléatoire des prix sur les marchés boursiers)
dans le futur. En se reportant à ce que nous avons dit sur
l’impossibilité de prédiction en théorie
économique, nous savons que si les prix reflètent
déjà toute l’information disponible et ce que
l’on peut prévoir, alors la variation des prix ne peut
représenter que ce qui est imprévisible ! Puisque
ce qui est imprévisible suit une marche aléatoire,
les séries temporelles des variations de prix suivent à
chaque instant du temps des processus aléatoires. L’observation
régulière de ceux-ci sur les marchés boursiers
résulte non de l’observation passée de cette
loi statistique, mais de la théorie économique de
l’impossibilité de prédiction sur les marchés
financiers.
Le
raisonnement inductif présuppose une régularité,
une uniformité ou une répétition des événements
observés. Or, on ne peut passer de la prémisse mineure
à la prémisse majeure. Tous les faits observables
même les plus réguliers ou les plus uniformes ne peuvent
servir de preuve pour établir la véracité de
la prémisse majeure.
On
classe les sophismes en trois groupes distincts :
-
les sophismes inductifs - les sophismes informels de pertinence - les sophismes d'ambiguïté
3.2
Les sophismes
Nous
avons déjà rencontré des fautes de raisonnement
; le non respect de la cohérence des syllogismes est un exemple
d’une faute formelle. Les sophismes sont des fautes informelles
de raisonnement
qui proviennent souvent de l’absence de
clarté du langage ou de pertinence des idées par rapport
à l’argumentation et la discussion.
Ces
sophismes ont souvent une apparence logique, mais sont conçus,
intentionnellement ou non, pour induire en erreur. Les scientifiques,
les journalistes, les hommes politiques, les artistes, les critiques,
qui s’affrontent dans les débats d’idées,
usent abondamment de ces figures de rhétorique. Il faut donc
les connaître pour ne pas en être victime et pour, à
votre tour, piéger vos adversaires !
3.2.1
Les sophismes inductifs
Les
sophismes inductifs apparaissent quand celui qui argumente fonde
ses conclusions sur un nombre insuffisant d’observations ou
de prémisses, lorsqu’il ne tire pas une conclusion aussi
forte que le suggèrent les évidences ou, au contraire,
quand il néglige des faits qui modifieraient totalement la
conclusion.
Secundum
quid
C’est
le principe de la généralisation hâtive
. Vous avez vécu une ou deux expériences malheureuses
avec vos professeurs d’économie. Vous les avez jugés
incompétents et cela vous suffit pour porter un jugement
général sur l’ensemble des économistes
universitaires ! L’entreprise de M.Dupont a expérimenté avec succès
la semaine des 25 heures sans baisse de salaire. Ce qui marche pour
une ou deux entreprises devrait fonctionner pour toutes les entreprises
; proposons un programme politique réduisant le temps de
travail !
Dicto
simpliciter
Le refus des exceptions
est une variante de la généralisation
hâtive. Ce comportement se produit à chaque fois que l’on suppose
qu’un cas particulier doit nécessairement se conformer
au cas général, alors que la règle générale
n’est qu’une induction ou une généralisation
grossière établie à partir de cas spécifiques. Vous êtes considéré comme " riche "
parce que vous gagnez plus de 70000 euros par mois... toutefois, l’observateur
n’a pas tenu compte du fait que vous avez 7 personnes à
charge !
L’accident
L’accident
consiste à appliquer une règle générale
à un cas particulier
pour lequel des conditions accidentelles
en font une exception à la règle. Cela consiste
également à inférer, à partir de situations
exceptionnelles, une règle générale.
Un pédophile tue avec une arme de poing plusieurs enfants
dans une école et se suicide après. Les armes de poing
sont dangereuses et tuent, il faut donc interdire la détention
comme le port d'armes par les particuliers. D'un accident, on passe
à une interdiction générale du port des armes
laissant les individus à la merci des gens d'armes ou des
gangsters ou d'un Etat policier ou criminel. En temps normal, vous croyez en un certain nombre de valeurs et
de règles de vie. Mais si vous étiez rescapé
d’un naufrage, réfugié sur une île déserte
en possession d’une arme et de très peu de nourriture,
l’arrivée d’un second rescapé, chef terroriste
international connu et recherché par toutes les polices du
monde pour le meurtre d’un grand nombre d’innocents, et
dont l’arrivée met votre vie en danger. Compte tenu
de la rareté de l’eau douce sur cette île, êtes-vous
prêt à respecter son intégrité personnelle
? Il vous apprendra, par la suite, que vous êtes son demi-frère.
Mais, tout cela n’a aucune chance de vous arriver. L’accident est un sophisme que l’on utilise aussi pour
vous inciter à sacrifier votre vie (ou votre argent) dans
des situations exceptionnelles et que l’on généraliserait
à la vie de tous les jours. Est-ce que l’on doit par
exemple risquer sa vie pour sauver une personne qui :a) se noie,
b) est entourée de flammes, c) est suspendue au dessus du
vide accrochée à la force de ses doigts à une
fenêtre d’un appartement situé au 12 e étage
d’un immeuble, d) ou meurt de faim sur le trottoir?
Si
vous répondez oui et que vous généralisez cette
conduite à la vie de tous les jours, nous dit Ayn Rand, vous
devez accepter les conséquences de cette attitude et reconnaître
que :
1)
ou bien vous avez peu d’estime pour vous-même ou bien
vous êtes irrationnel puisque : a) vous jugez que votre vie
à moins de valeur que celle que vous cherchez à sauver,
ou b) si votre vie vaut plus que celle de la personne que vous cherchez
à sauver, en risquant votre vie, vous sacrifiez quelque chose
qui a plus de valeur en faveur d’une autre qui en a moins,
2)
vous avez peu de respect pour les autres puisque vous les considérez
comme des gens qu’il faudrait aider systématiquement
dès qu’ils sont dans le malheur,
3)
vous avez une vision de l’existence humaine particulièrement
pessimiste puisque le monde pour vous n’est fait que de malheurs,
de catastrophes, de famines et de situations exceptionnellement
dangereuses,
4)
enfin cette morale du sacrifice de soi pour les autres est impuissante
à résoudre le dilemme que vous allez rencontrer quand
il faudra choisir entre deux personnes qui se noient celle que vous
devez sauver.
A.
Rand souligne avec à propos que le code moral qui guide le
comportement d’un individu dans des circonstances exceptionnelles
n’est d’aucune utilité pour guider l’individu
dans les circonstances ordinaires de la vie en société.
Les philosophes qui prétendent le contraire commettent une
faute de raisonnement qui n’est pas autre chose que le sophisme
de l’accident.
Les
statistiques ex post facto.
Souvent,
on rejette le hasard
comme mode d’explication. En effet,
à chaque fois qu’un événement très
improbable arrive, on imagine une cause cachée. L’émergence de l’homme sur Terre est très
improbable... La cause cachée de cet événement
est l’intervention de Dieu. De même, l’explication de l’apparition du capitalisme
-pourtant très improbable- en Angleterre au 18ième
siècle. Pourquoi d’ailleurs en Angleterre et pas en
Chine, dont le degré de civilisation semblait largement supérieur
à celui des européens? Les historiens avancent le
rôle de la compétition existant entre les états
occidentaux, contrairement à la situation impériale
et centralisée de la Chine de l’époque (hypothèse
de J. Baechler (1971)) et d'autres à la liberté d'innover. Les économistes participent eux aussi à cette mystique
de la cause cachée. Selon eux, la croissance est la conséquence
des investissements en capital humain ou le fruit d’institutions
favorisant le marché et les droits de propriété
ou encore le résultat de la mystérieuse propriété
des rendements croissants dans les fonctions de production.
La
fausse analogie
Nous
avons déjà discuté de cette faiblesse de l’induction.
La fausse analogie amène à une généralisation
hâtive. L’empire égyptien a disparu, de même que l’empire
Inca, l’empire romain, l’empire anglais, l’empire
français, l’empire soviétique... Comme le capitalisme
est une forme d’impérialisme, il est donc amené,
lui aussi, à disparaître. Les individus exposant ce
type d’argument oublient, cependant, que le capitalisme n’est
pas un impérialisme, puisqu’il ne repose pas, contrairement
à celui-ci, sur la violence armée, mais sur l’échange
volontaire.
3.2.2
Les sophismes de pertinence
Argumentum
ad Baculum
Dans
ce cas, on utilise la force ou la pression
comme moyen de
persuasion. Le conformisme et la " pensée unique "
résultent de ces procédures d’intimidation. Lorsqu’un professeur d’économie, qui ne souffre
pas d’être contredit, affirme que si la demande augmente,
les prix montent, l’étudiant qui souhaite réussir
son examen a tout intérêt à se persuader de
la validité de cette relation. De la même façon,
les étudiants se persuaderont, comme leur a démontré
un autre de leur professeur, que le capitalisme sauvage entraîne
la pauvreté. Les étudiants qui, au nom de la réussite
aux examens, anticipent qu’il vaut mieux répéter
ce que dit le professeur, entrent dans le jeu de l’argument
de persuasion par la force. C’est aussi de cette manière
qu’ils perdent tout esprit critique. Ce faisant, ils commettent
une faute de raisonnement (au niveau de l’induction) par une
généralisation hâtive ; ils anticipent que "
ne pas être de l’avis de son professeur " signifie
perdre des points à l’examen.
Argumentum
ad hominem
C’est
l’attaque directe
. Lorsque vous êtes impuissant
à contrer l’argument de votre adversaire, attaquez le,
en usant de ce type d’argument : soit vous insistez sur le
fait que votre adversaire a un intérêt matériel
à soutenir un tel argument soit vous soulignez un trait de
sa personnalité qui ne le rend pas crédible. Dans le premier cas, l’argument est ad hominem, car il ne discute
pas le fond du problème, mais cherche à faire état
d’un lien matériel entre celui qui argumente et les
idées qu’il soutient. Lorsqu’un chef d’entreprise,
patron d’une grande firme d’automobile, défend
le protectionnisme, vous tuez immédiatement son argument
en lui rétorquant qu’il est le patron de la firme qui
souffre le plus de la compétition des Japonais! Votre interlocuteur
est disqualifié. D’une part, ce sophisme présuppose une théorie
de la formation des idées : les idées développées
ne seraient pas indépendantes de la position sociale et /ou
des intérêts privés de celui qui les avance,
d’autre part même s’il en était ainsi, il
présuppose que la fausseté ou la vérité
d’une idée ou d’un argument se juge en référence
à la position sociale ou aux intérêts privés
de ceux qui les émettent et non pas en fonction de la cohérence
et de la validité sémantique de celui-ci. C’est
le polylogisme
. Les économistes marxistes, racistes
et aujourd’hui les économistes féministes en
sont les principaux tenants en sciences humaines.
"L’économie
politique, en effet, est une science sociale et se fonde -que les
théoriciens s’en rendent compte ou non- sur une certaine
conception de la nature de la société ainsi que des
lois de son développement. Autrement dit : toute théorie
économique repose sur certaines prémisses de caractère
sociologique à partir desquelles on envisage le coté
économique de la vie sociale "
N. Boukharine
(1919)
Les
prémisses de caractère sociologique à partir
desquelles on envisage la théorie économique seraient
ou bien la classe sociale, la race ou le sexe. Une seconde version de ce type d’argument consiste à
accuser son adversaire d’ingratitude et de traîtrise
lorsque celui-ci critique l’institution pour laquelle il travaille.
On peut également utiliser ce type d’argument en sens
contraire ; lorsque votre adversaire soutient un point de vue en
faveur de l’institution qui le forme ou le nourrit, vous pouvez
l’accuser de partialité. L’argument ad hominem est efficace, puisque les individus mettent
toujours du temps à comprendre que la fausseté ou
la véracité d’une argumentation est indépendante
de la situation professionnelle, sociale ou du sexe de celui qui
l’avance... Toutefois, il peut se transformer en coups bas,
lorsque les attaques ne reposent sur aucune relation entre les idées
et les intérêts privés de son adversaire ("vous
voulez mettre la sécurité sociale en concurrence et
la privatiser, comme le dictateur Pinochet au Chili (où l’expérience
a réussi) ? ", " comment pouvez vous prendre au
sérieux Léonard de Vinci ou John Maynard Keynes, alors
qu’ils étaient homosexuels ? ". Même si Léonard
de Vinci ou J.M.Keynes n'étaient pas homosexuels, vous ne
pouvez pas apporter la preuve du contraire.
Argumentum
ad ignorantiam
En
utilisant ce type d’argument, on affirme la véracité
d’une opinion par le fait que l’on ne peut démontrer
qu’elle est fausse. C’est une variante d’une fausse
dichotomie : ou les faits supportent l’argument ou celui-ci
est faux. Mais l’argument peut être vrai même si
les faits ne permettent pas de conclure dans un sens ou dans un
autre. En absence de preuves
, on suspend son jugement. Malgré les dépenses faramineuses et le travail des
équipes de recherche pour démontrer que les fantômes
n’existaient pas, rien ne l’a prouvé... Les fantômes
existent donc ! De la même façon, personne n’a
prouvé que Dieu existe, donc Il n’existe pas... mais
personne n’a non plus prouvé que Dieu n’existait
pas, donc Il existe ! Dans cette question de l’existence de
Dieu l’agnostique cherche à s’évader de
la dichotomie. Il ne s’agit pas d’une troisième
position. La position de l’agnostique est souvent présentée
comme suit : " personne ne peut prouver que Dieu existe, personne
ne peut prouver que Dieu n’existe pas. En conséquence
l’athéisme est un acte de foi comme peut l’être
le théisme ". L’agnostique traite de manière
égale la demande de l’athée de fonder l’existence
de Dieu sur la raison, et l’affirmation de l’existence
de Dieu du théiste fondée sur sa foi ou ses sentiments. Mais il est impossible de prouver un négatif et totalement
irrationnel de l’exiger. En effet prouver un négatif
signifie prouver la non existence de quelque chose pour lequel aucune
évidence de quelque sorte que ce soit existe! C’est
le principe du tiers exclu que nous utilisons ici pour réfuter
la position de l’agnostique.
Argumentum
ad populum ou ad numeram
Un
argument serait bon parce que tous les gens le pensent ainsi, c’est
l’appel à l’opinion publique
, aux croyances
populaires, qui reposeraient sur un fond de vérité.
Puisqu’un grand nombre d’individus pense une chose, celle-ci
ne peut être fausse, car si on peut tromper une personne,
on ne peut pas tromper tout le monde ! Malheureusement (ou heureusement), la vérité d’une
proposition ne dépend pas du nombre de gens qui la soutient...
sinon la terre serait toujours plate !
Argumentum
ad misericordiam, ad odium
En
usant de ce type d’argument, on fait appel cette fois à
la pitié, à la sympathie ou à la haine pour
faire passer une opinion. En d’autres termes, l’émotion
va envahir la raison. Ceux qui sont pour la dissémination de l’arme nucléaire
se verront rétorquer qu’ils devraient étudier
d’un peu plus près les effets dévastateurs de
cette bombe ; elle peut rendre aveugle si on la regarde, la boule
de feu engendre une onde de choc qui se déplace à
une vitesse supersonique, le souffle détruit tout sur son
passage. Elle émet également un rayonnement électromagnétique,
composé de rayons gamma et d’un flux de neutrons, qui
brûle et détruit l’organisme humain. La présentation
d’un film expliquant les conséquences terrifiantes de
cette bombe suffira à convaincre le public. Mais, la question
n’est pas là, il s’agit de savoir si la dissémination
préserve ou non la paix.
Les
individus qui se prononcent en faveur de la libéralisation
du commerce de la drogue devraient (toujours selon leurs opposants)
se rendre compte, sur le terrain, des effets néfastes de
ces produits sur leurs enfants et de la déchéance
humaine des drogués. Un film sera, là aussi, le bienvenu.
Mais la question posée par le débat est de savoir
si les effets néfastes et la déchéance observés
ne sont pas le produit de l’interdiction elle-même.
Argumentum
ad verecundiam
C’est
l’argument d’autorité
. Souvent, il s’agit
de faire appel à une autorité scientifique qualifiée
ou de jouir soi-même d’une certaine notoriété
dans un domaine, pour faire autorité dans un autre. Ainsi on pourrait dire :" A. Jacquard,
un grand spécialiste de la structure génétique
des populations, nous donne avec son livre " J’accuse
l’économie triomphante ", paru chez Calman Levy
en 1995, une formidable leçon d’économie politique
en démontant la pseudo science des ayatollahs de l’économie
" !
En fait, dans la cinquième de couverture de l’ouvrage,
dont on sait qu’en général elle est rédigée
par l’auteur lui-même, on lit : " Le scientifique
Jacquard démonte la pseudo science des ayatollahs de l’économie
".
Il
n’existe pas de label qui protège les économistes
contre ceux qui font de l’économie sans l’avoir
maîtrisée... contrairement aux médecins ou aux
juristes qui peuvent interdire à d’autres l’exercice
de leur profession s’ils n’ont pas obtenu les diplômes
validant leur connaissance et leur compétence dans ce domaine,
sous le prétexte que ces gens pourraient commettre des fautes
entraînant de graves dommages à ceux qu’ils soignent
ou qu’ils conseillent.
Petitio
Principii
Cet
argument est utilisé quand la conclusion est déjà
implicitement contenue dans la prémisse : c’est le raisonnement
circulaire
. Étudions la conversation suivante : " La redistribution des
revenus est une bonne chose - pourquoi pensez-vous cela ? - parce
que tous les bons économistes l’affirment - mais pourquoi
les considérez vous comme de bons économistes ? -
parce qu’ils sont pour la redistribution des revenus ! ". Toutefois, il ne faut pas confondre le raisonnement circulaire avec
un enchaînement de causes. Le raisonnement suivant est, par
exemple, parfaitement correct : " Les prix montent parce que
les salaires augmentent - Les salaires augmentent parce que les
prix montent ".
Non
causa pro causa ou post hoc ergo propter hoc
Ce
sont lesfausses causes
. Elles consistent à confondre
l’effet avec la cause ou à identifier X comme cause
de Y parce que l’élément X est placé avant
Y. " La balance des paiements est en déficit. Le gouvernement
pratique une déflation qui réduit le revenu et augmente
le chômage. Peu de temps après, la balance des paiements
devient excédentaire. Cette politique de déflation
est donc efficace. " Ne nous laissons pas abuser, une dévaluation
et l’adoption d’un système de changes flottants
sont des moyens alternatifs pour réduire le déficit
sans impliquer de déflation ni de chômage !
Plurium
Interrogationum.
C’est
le principe de la question complexe
. Elle ferme l’argument
en posant une question sur la base d’une réponse à
une question préalable et, en général, masquée. A la question " Avez -vous arrêté de battre votre
enfant? " Si vous dîtes non, c’est que vous continuez
à le faire, si vous répondez par l’affirmative,
c’est qu’effectivement vous le battiez ! Ceci peut être une plaisanterie, mais prenez l’argument
que vous opposerez au PDG de Peugeot lors d’un prochain débat
à la télévision : "Est-ce que la pollution
dans les villes, qui entraîne de nombreux morts chaque année
et dont vous êtes à l’origine avec votre parc
automobile diesel, accroît ou diminue vos profits?"
3.2.3
Les sophismes d’ambiguïté
Le
concept volé
L’exemple
le plus connu de ce type de sophisme d’ambiguïté
est la phrase célèbre de Proudhon : " la propriété
c’est le vol ". En effet le mot vol ne peut prendre de
signification que si le concept de propriété a été
défini. Voler signifie justement prendre la propriété
de quelqu’un sans son consentement. Là où il
n’y a pas de propriété, il ne peut y avoir de
vol. Il y a ici une contradiction interne. Utiliser le mot vol en
niant le concept de propriété revient à utiliser
un concept- la notion de vol- tandis que l’on ignore ou nie
la validité du concept sur lequel il est fondé-la
notion de propriété-. Cet acte intellectuel s’appelle
un vol de concept. Ce sophisme est plus fréquent que vous
ne le pensez.
La
fausse dichotomie
Les
prémisses de l'argument sont fausses.Ainsi ou vous êtes
avec nous ou vous êtes contre nous, vous n'êtes pas
avec nous, vous êtes donc contre nous. La première
prémisse est fausse. Il peut exister une troisième
option. Ou vous êtes socialiste ou vous êtes de droite,
vous êtes de droite, donc vous n'êtes pas socialiste.Mais
vous pouvez être un libéral. On rencontre aussi ce
genre d'argument à propos de la méthode scientifique.
Ou vous testez vos théories et vous êtes scientifique
ou vous ne les tester pas et vous n'êtes pas un scientifique.
Vous ne testez pas vos théories donc vous n'êtes pas
un scientifique. Nombreux sont les économistes qui se font
piéger par ce sophisme. La prémisse qui est fausse
est celle qui prétend identifier le travail scientifique
avec une méthodologie particulière : le positivisme.
L’équivoque
C’est
ce qui arrive lorsqu’un mot ou une expression change de
sens
au cours de l’argument.
Prenons
deux exemples : Le bonheur est la fin de la vie La fin de la vie est la mort __________________ Donc, le bonheur est la mort La moitié d’un pain est mieux que rien Rien n’est pas mieux que la santé __________________________ Donc, la moitié d’un pain est mieux que la santé
L’amphibologie
Il
s’agit souvent d’une phrase à double sens
ou imparfaitement construite. Dans le petit Larousse, l’exemple suivant est présenté
: " Je porte des bonbons à mes enfants qui sont dans
la poche de mon vêtement " Qui est dans ma poche : les
enfants ou les bonbons ?
L’accent
mal placé, le rythme, l’allitération, la rime
Mettre
l’accent sur l’un des mots
de la phrase plutôt
que sur un autre peut en changer le sens. Par exemple : " Allumez votre cigarette " (sans accent) : c’est
une instruction " Allumez votre cigarette " : au lieu d’allumer la
lampe " Allumez votre cigarette " : au lieu d’allumer celle
de votre voisin " Allumez votre cigarette " : au lieu de la mettre dans
votre oreille De la même façon, en rythmant la phrase
ou en
ajoutant une rime
, on obtient des slogans : " Boire ou conduire, il faut choisir " " Des crédits pour l’école, pas pour les
monopoles " " Défense nationale, dépense nationale, démence
nationale "
La
Composition
Dans
la composition, ce qui vaut pour les parties
d’un tout
vaut pour le tout
. Si chaque joueur est bon, alors l’équipe est bonne.
Or, les Barbarians, qui comptent dans leurs rangs les meilleurs
joueurs de rugby (en individuel) se font battre régulièrement
par les équipes nationales. Les économistes aiment beaucoup les paradoxes auxquels conduit
ce type de sophisme. Prenons un ensemble d’individus qui regardent
passer le défilé du 14 juillet. Si l’un d’entre
eux se met sur la pointe des deux pieds pour mieux voir et que personne
ne l’imite, il profitera effectivement mieux du spectacle.
Mais si tous agissent de la même façon, personne ne
verra mieux qu’avant et ils seront d’autant plus fatigués.
De la même façon, les nouveaux étudiants qui
observent les revenus importants de leurs aînés spécialisés
en finance, se précipitent dans cette filière, mais
une fois leurs études terminées, ils se retrouvent
avec un niveau de vie peu différent de celui de ceux qui
n’ont pas suivi cette voie. En réalité, ces deux paradoxes résultent fondamentalement
d’un défaut de coordination. Il n’est pas difficile,
en effet, de construire des estrades ou de vendre des périscopes
pour permettre à chaque individu de voir le défilé.
D’autre part, l’instauration d’une sélection
à l’entrée de la filière finance mettra
en échec le paradoxe des étudiants Les Keynésiens des années 1968 ont utilisé
abusivement ce paradoxe dans leurs manuels de cours sous le nom
de "paradoxe de l’épargne ". Imaginons que
les individus désirent tous accroître leur épargne
; ils restreindront donc leur consommation présente. Mais
si le revenu de l’ensemble de la collectivité est déterminé
par la consommation et l’investissement de tous, la chute de
la consommation réduit ce revenu, ce qui diminue le montant
total de l’épargne. Il est clair que ce paradoxe ne
tient que parce qu’une hypothèse sous jacente n’est
pas mentionnée : la hausse de l’épargne n’est
pas compensée par une hausse de l’investissement, l’épargne
et l’investissement seraient, dans ce schéma, insensibles
aux prix, c’est-à-dire au taux d’intérêt,
dont le rôle est justement de coordonner l’ensemble des
comportements individuels pour éviter ce paradoxe !
La
division
La
division est l’opposé du sophisme de composition :on
attribue aux parties les caractéristiques du tout
. L’équipe est bonne, donc chaque joueur de cette équipe
est un bon élément. Nous n’avons pas épuisé tous les sophismes, ni
évoqué le rôle extrêmement important de
l’ironie
dans l’argumentation. Toutefois, cette
liste constitue un échantillon représentatif des fautes
de raisonnement que l’on trouve dans la plupart des discussions
publiques, à la télévision ou ailleurs, y compris
celles faites par des experts scientifiques ! Repérez-les et dévoilez-les publiquement pour les
dominer et éviter ainsi les pièges rhétoriques
de vos contradicteurs. Mais ne vous privez pas non plus de les utiliser
pour déstabiliser vos adversaires !
3.3
Application : la rhétorique dans le débat sur le tabagisme.
Pour
illustrer cette discussion sur les figures de rhétorique,
examinons les arguments traditionnellement avancés au cours
d’un débat sur la lutte antitabac. Celui-ci est intéressant
en soi, car il peut se généraliser à toutes
les industries susceptibles de vendre des produits nocif pour la
santé. Supposons que vous émettiez quelques réserves sur
le bien-fondé de la lutte antitabac. Vos adversaires, convaincus
de la nocivité du tabac, vous opposerons un certain nombre
d’arguments et figures de rhétorique, comme par exemple
:
1)
Le tabagisme est une épidémie.
Établir que les maladies cardiaques ou les cancers du poumon ont
pour cause la consommation de tabac est une chose, en arriver à
développer une fausse analogie entre cette consommation et
une épidémie, c’est-à-dire une maladie
qui se propage comme un virus, constitue une faute de raisonnement
volontaire et non scientifique de la part des médecins qui
l’avancent. En associant systématiquement la consommation de tabac à
une épidémie, les tenants de cette opinion pourrons
faire adopter plus facilement les mesures politiques correspondantes
: cordon sanitaire, quarantaine (isolement des fumeurs et apartheid),
désinfection (désintoxication, patch...), prévention
(campagne de propagande antitabac, interdiction de la publicité
pour le tabac, filtre, produits de tabac édulcorés)...
en attendant la mise en place d’un vaccin obligatoire qui empêcherait
les gens de fumer ! En réalité, le tabac n'est pas un virus, mais un produit
dont on suspecte la dangerosité, au même titre que
d'autres produits. Le tabac n'est pas une maladie, ni un vecteur
d'épidémie, mais une consommation, un comportement
volontaire des individus fumeurs.
2)
Le tabac est une drogue.
La reconnaissance de l’accoutumance des fumeurs au tabac, puis
l’assimilation aux drogues dures, constituent les deux éléments
de la dernière figure de rhétorique en date, utilisée
aux Etats Unis et en France, pour traiter de la nocivité
de la cigarette. De ce fait, il faut interdire la consommation de
tabac ! Ce raisonnement équivoque est erroné à deux
niveaux. D’une part, le phénomène d'accoutumance
n'est pas, en soi, une caractéristique essentielle justifiant
l’assimilation du tabac à une drogue. Conduire une voiture
présente aussi des phénomènes d'accoutumance,
faut-il donc introduire cette activité dans la liste des
drogues dures, d'autant plus que la mortalité par accidents
de la route excède celle par consommation de drogue ? D’autre
part, beaucoup de produit sont jugés dangereux (c’est
le cas du poison) et ne présentent pas de phénomènes
d'accoutumance, puisque leur utilisateur décède aux
premières doses ! En réalité, si le tabac présente, peut-être,
un phénomène d'accoutumance, ce n'est certainement
pas un poison (on ne meurt pas après avoir consommé
une cigarette), ni une drogue (les fumeurs ne confondent pas la
fenêtre de leur bureau au 18ième étage avec la
porte de pallier ou leur secrétaire avec un "squonk",
ils ne meurent pas non plus d'overdose).
3)
Vous défendez l’industrie du tabac car vous êtes
payé par elle
Ce
type d’argument est fait pour discréditer toute tentative
de critique des chiffres présentés dans les débats,
en faisant croire que la valeur de votre argument est liée
à vos intérêts personnels. C'est une attaque
ad hominem. Vous pouvez aisément contrecarrer l’argument, en utilisant
vous-même de cette figure de rhétorique : lorsque l’on
est payé par des organismes qui financent vos recherches
(l'ARC, la Sécurité Sociale ou le ministère
de la santé publique) ou lorsque l'on travaille pour eux,
l'objectivité de celui en charge de calculer la mortalité
attribuable au tabac ou de celui qui prône les campagnes antitabac
peut être, elle aussi, remise en cause ! Plus sérieusement,
un argument se juge sur sa valeur scientifique et non sur son mode
de financement.
4)
Venez voir les malades atteints d'un cancer du poumon en phase terminale,
vous serez édifié de la nocivité du tabac
Cet argument est souvent avancé pour dissuader les fumeurs
de fumer et les automobilistes de conduire. C’est l’argumentum
ad odium
, qui revient à traiter les êtres humains
comme des animaux qu’il faut dresser (pour empêcher les
jeunes chiens de faire des dégâts dans le salon de
leur maître, on leur met le nez dedans !). Il faudrait emmener
les fumeurs dans les hôpitaux et les faire séjourner
dans un service où les malades meurent de cancer du poumon,
pour qu'ils se rendent compte de ce qu'ils risquent. Mais, ce n'est pas un argument scientifique puisque, non seulement
des non-fumeurs peuvent être atteints de cette maladie, mais
aussi parce que beaucoup de fumeurs (94 sur 100) ne meurent pas
d’un cancer.
5)
Cela fait 40 ans que les épidémiologues travaillent
sur ce sujet, vous pensez bien qu'ils ont tenu compte de vos critiques
à propos de la clause du " toutes choses égales
d'ailleurs " pour mesurer correctement l’impact du tabac
sur la santé.
C'est un argument d'autorité
, qui est, de plus, erroné,
puisque les épidémiologues en question, Doll et Peto,
qui ont découvert la relation statistique entre consommation
de tabac et mortalité, refusent depuis 40 ans d'utiliser
les techniques statistiques nouvelles inventées pour résoudre
les difficultés de causalités multiples et rejettent
les expérimentations. Or, quand les épidémiologues
utilisent ces nouvelles méthodes, les résultats des
tests économétriques sont souvent beaucoup plus nuancés
que ceux avancés par les défenseurs antitabac... Peut-on
ignorer leurs résultats ?
6)
La communauté scientifique est entièrement d'accord
et les chiffres sont indiscutables
C’est un argument ad populum. La communauté scientifique
(celle des épidémiologues et non celle des médecins
incompétents dans le domaine de la statistique et des méthodes
quantitatives de cette discipline) serait unanime sur la nocivité
du tabac... Par définition, les chiffres et les méthodes
d’estimations sont discutables, c'est donc l'argument qui devient
lui-même suspect !
7)
Vous êtes un négationniste
Cet argument utilise l’équivoque et l’émotion.
En faisant référence aux historiens qui nient l'existence
des chambres à gaz, les détracteurs confondent les
faits historiques (les chambres à gaz) et les hypothèses
qu’il faut vérifier (l'impact de la consommation de
tabac sur la mortalité). Dans ce cas, le nombre de morts
par cancer du poumon (21000 par an) est observé, on ne conteste
pas ce chiffre. Par contre, on peut contester que 90% de ces décès
puissent être attribués au tabac! Avec ce type d’argument, on réussit, d’une part,
à faire croire que la nocivité du tabac est un fait
historique indiscutable et, d’autre part, à assimiler
son interlocuteur à un partisan de l’Allemagne nazie.
Peu élégant, mais efficace à la télévision,
surtout si l’animateur vous empêche de répondre
à cette attaque personnelle ! Dans de tels débats télévisé assurez-vous
de la neutralité de l’animateur de l’émission
pour qu’il ne dirige pas les débats en les biaisant
en votre défaveur. Ensuite, entourez-vous de vos étudiants
les plus " activistes ", afin qu’ils exercent une
pression psychologique sur l’auditoire et les autres intervenants
(l’intimidation est toujours efficace). La situation vous sera
d’autant plus favorable si l’un de vos partisans, dans
le public, appartient à une catégorie sociale que
les médias jugent injustement stigmatisés par le reste
de la population (un homosexuel, un sans-abri, un immigré
clandestin....) et intervient au bon moment pour vous soutenir (par
contre, éviter de venir accompagné d’un pédophile,
d’un drogué, d’un partisan de la secte Moon ou
d’un "skin head avec son pitt bull ",... cela pourrait
se retourner contre vous). Enfin, veillez à toujours avoir
un compère parmi ceux qui débattent avec vous, vous
éviterez ainsi d’être isolé intellectuellement
au cours de l’émission. Si l’ensemble de ces conditions
ne sont pas réunies, refusez de participer au débat
!
3.4
La métaphore
Certains
arguments se rapprochent beaucoup plus du discours poétique
que du discours scientifique, grâce à un usage intensif
d’une figure de rhétorique appelée la métaphore.
Par
exemple, le prix Nobel G. Becker considère, dans ses travaux
sur la fécondité, les enfants comme des biens durables
(c’est-à-dire au même titre qu’un réfrigérateur).
Il est, en effet, coûteux d’en acquérir, de les
entretenir et de les réparer, mais ils vivent longtemps et
peuvent rendre des années durant des services à leurs
parents ! On remarquera tout de même des différences
entre un enfant et un bien électroménager, l’enfant
a des opinions, il est capable d’affection (et en est également
demandeur), il se rebelle, puise dans votre compte en banque régulièrement
et peut être ingrat. Mais cette métaphore lui permet
d’expliquer très simplement la baisse de la fécondité
et la relation en U entre le revenu et le nombre d’enfants
par famille.
La
notion d’équilibre de l’offre et de la demande
est également une métaphore faisant référence,
en physique, au mouvement d’une pomme dans un bol. Les mots
"Statique et dynamique " sont empruntés directement
de la mécanique théorique. De même, les termes
de "Vitesse de circulation de la monnaie ", de "Compétition
", de " Main invisible ", de " Capital humain
"... sont aussi empruntés à d’autres domaines
et ont pour objet de faire sentir quelque chose au lecteur à
propos d’un phénomène économique.
Il
ne faut pas croire non plus que les gens compétents en économie
mathématique n’usent pas d’allégories, de
paraboles ou de métaphores. L’une des plus célèbres
est celle du prix Nobel R. Solow. Pour estimer l’apport du
progrès technique dans une économie il écrit
: " (Dans ce cas), la fonction de production prend la forme
particulière Q=A(t).f(K,L) et le facteur multiplicatif A(t)
mesure l’effet cumulé des déplacements de la
fonction au cours du temps ". La notion de fonction de production
est une métaphore ; fabriquer du pain avec un compagnon ouvrier,
un four, de la farine et un savoir-faire peut être représenté
par une fonction mathématique où K est le four, L
le travail de l’ouvrier et A le savoir faire. C’est une
métonymie. En réalité, le symbole L est une
analogie qui réduit l’effort, la peine, la sueur et
l’attention de l’ouvrier une unité de temps de
travail ; finalement A(t) n’est pas autre chose qu’un
symbole qui exprime notre ignorance !
Enfin,
la macroéconomie utilise aussi les métaphores les
plus échevelées. Le tableau économique de Quesnay,
un médecin, fondateur de la physiocratie, qui compare la
circulation des richesses à celle du sang dans un organe
humain, ou la célèbre machine construite par ingénieur
en électricité Néo-Zélandais, du nom
de Philipps, devenu économiste, qui représenta dans
les années 1930, l’économie par une machine faite
de tuyaux, de pompes, de robinets et qui fonctionnait comme une
chaudière. Il devint célèbre en 1958 avec un
article empirique démontrant l’existence d’une
relation inverse entre le taux d’inflation et le taux de chômage!
Relation qui a fait couler beaucoup d’encre.
La
métaphore (ou analogie), joue un rôle essentiel dans
le raisonnement (qu’il soit économique, juridique ou
appartenant à n’importe quelle science dure). Elle est
notamment d’une grande aide lorsqu’elle permet de comprendre
des faits ou des implications jusqu’alors inexpliqués.
Toutefois,
les métaphores ne réussissent pas toujours à
persuader la communauté des scientifiques de la pertinence
d’une explication. Ainsi, la métaphore organiciste est
souvent rejetée, parce qu’elle induit les chercheurs
en erreur ou obscurcit la compréhension des phénomènes
étudiés au lieu de les éclairer. Ainsi :
"
La France envoie ses porte-avions au large du détroit d'Ormuz
pour protéger ses intérêts dans la région
du Golfe persique. "
est
une métaphore organiciste
que nous avons déjà
mentionnée dans un chapitre précédent. Reprenons
ce qu’a dit l’historien P.T. Moon (1930) de l’université
de Columbia lorsqu’il écrit sur l’impérialisme
des États au XIX siècle.
"
Le langage rend souvent opaque la vérité. Plus souvent
qu’on le croit, nos yeux sont aveugles aux phénomènes
des relations internationales par de simples artifices de la langue.
Quand quelqu’un utilise la monosyllabe " France ",
il pense que la France comme une unité, une entité.
Quand il s’agit d’éviter une répétition,
nous utilisons un pronom personnel en se référant
au pays - quand par exemple nous disons-la France a envoyé
ses troupes pour conquérir la Tunisie- nous imputons non
seulement l’unité mais aussi la personnalité
au pays. Les mots mêmes cachent les phénomènes
et font des relations internationales un drame glorieux dans lequel
des nations personnalisées sont des acteurs, et on oublie
trop facilement la chair et le sang des hommes et des femmes qui
sont les véritables acteurs. Combien cela serait différent
si l’on avait pas de mot tel que la -France-, et si on devait
dire au lieu - 38 millions d’hommes de femmes et d’enfants
aux intérêts et aux croyances les plus divers, habitant
un territoire de 218 000 miles au carré ! Alors on devrait
décrire plus précisément l’expédition
de Tunis de la façon suivante : - un petit nombre des 38
millions de personnes ont envoyé 30 000 autres personnes
pour conquérir Tunis- Cette façon d’écrire
suggère un question, ou plutôt une série de
questions. Qui est le petit nombre ? Pourquoi envoie-t-il 30 000
personnes à Tunis ? Et pourquoi obéissent-ils ? "
Comme
le souligne P.T. Moon à propos de l'expédition française
de Tunis, si nous n'avions pas de mot tel que la France, alors on
pourrait décrire plus correctement l'expédition au
détroit d'Ormuz. Une petite poignée d'hommes, les
membres du gouvernement, a envoyé un corps expéditionnaire
composé de milliers d'hommes dans ce détroit. Cette
manière de poser les faits suggère des questions différentes.
Qui
est la poignée d'hommes? Pourquoi a-t-on envoyé un
corps expéditionnaire? De quels intérêts s'agit-il? Une erreur semblable est souvent commise à propos du marché.
Taxer le marché " d'impersonnel " ou le capitalisme
de sauvage n’a pas de sens. Le marché n'étant
pas une personne consciente, il ne peut donc qu'être impersonnel
! Le capitalisme n’étant pas une personne, les capitalistes
sont peut-être des sauvages, mais le capitalisme ne peut pas
l’être. Les ouvriers se plaignent souvent que le marché
ne leur accorde pas les salaires qu’ils méritent. Si
le marché ne paie pas assez les ouvriers, la réalité
concrète dont se plaignent ces ouvriers, c'est que les employeurs
Jean ou Sophie ne sont pas prêts à payer la somme qu'ils
demandent.
Enfin,
une métaphore ne doit pas être prise au pied de la
lettre ; l’enfant n’est pas un bien durable même
si on l’analyse comme tel et si l’économie pouvait
être représentée et simulée par une machine,
comme le suggère Philipps, le gouvernement demanderait conseil
à des mécaniciens et /ou des ingénieurs au
lieu de s’entourer d’un groupe d’experts en économie
!
Questions
d'évaluation
Question
1
Lisez
attentivement ce passage du livre de Viviane Forrester (L'horreur
économique, 1996, Fayard, p.70-71) et faites-en un commentaire. Viviane Forrester est critique littéraire au Monde et
membre du jury Fémina.. Cet ouvrage a reçu le prix
Médicis (section-essai). " Nous vivons au sein d'un leurre magistral, d'un monde disparu
que nous nous acharnons à ne pas reconnaître comme
tel, et que des politiques artificielles tentent de perpétuer.
Des millions de destins ravagés, anéantis par cet
anachronisme dû à des stratagèmes opiniâtres
destinés à donner pour impérissable notre tabou
le plus sacré : le travail. Cette fraude générale
nous contraint à préserver un reste de société
caduque, de telle façon qu'un nouveau type de civilisation
puisse se mettre en place subrepticement, où seule une fraction
très limitée de la population mondiale remplira des
fonctions utiles. L'extinction du travail passe pour une simple
éclipse, alors que, pour la première fois de l'Histoire,
l'ensemble des êtres humains est de moins en moins nécessaire
au petit nombre qui façonne l'économie et exerce le
pouvoir"
Question
2
Identifier
les sophismes :" Un flic tue et ne va pas en prison. Nous on
vole une voiture et on meurt "
Question
3
Commenter
les phrases suivantes : a) Personne n'a conquis le monde. Donc, ce n'est pas vrai que quelqu'un
a conquis le monde. b) Toutes les bonnes choses ont une fin. Une dictature n'est pas
une bonne chose. Donc, quelques dictatures perdurent. c) Les gens qui ont du goût préfèrent le Bordeaux
au Beaujolais. Vous devez boire du Bordeaux. d) Les gens qui ont du goût préfèrent le Bordeaux.
J'ai du goût. Donc je préfère le Bordeaux.
Question
4
L'argument
suivant est incohérent. Vrai faux ou incertain ? Si un spéculateur peut prédire les prix futurs,
Richard le peut. Personne ne peut prédire les prix futurs. _____________________________ Donc, Richard ne peut prédire les prix futurs.
Question
5
Evaluer
l'argument suivant :
"Il
existe un certain nombre x qui est plus grand que tous les autres
nombre, donc il existe un nombre qui est plus grand que lui même."
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